Une ancienne colonie portugaise aux accents d'Afrique
Résumer nos 3 semaines dans ces îles du Cap-Vert se révèle un exercice d'équilibriste, tant ce pays nous a bousculés, surpris, émerveillés. Il est difficile d'en dessiner les contours en quelques lignes, au risque d'être réducteurs, tant ses influences sont multiples.
Nous n'avions pas d'idée préconçue de ce que nous allions y découvrir, si ce n'est que nous savions que cela allait être exotique, dépaysant et différent des îles européennes foulées jusqu'alors.
Pour tout vous dire, nous craignions même que cela ressemble un peu trop aux Canaries..."Encore des îles volcaniques désertes" étions-nous tentés de penser.
Le drapeau, déjà, que nous avons hissé sur le hauban tribord, ne nous évoquait pas grand chose. L'aspect esthétique du pavillon national nous avait séduit, cependant: il restait à en comprendre l'essence. Depuis, nous avons appris que le bleu symbolise la profondeur de la mer et du ciel, le blanc le pacifisme des Capverdiens, le rouge leur ardeur au travail. Enfin, les dix étoiles expriment l'unité des dix îles de l'archipel.
Car oui, le Cap-Vert, c'est déjà un archipel, situé en face du Sénégal. Les îles au-vent (Barlavento) se distinguent des îles sous-le-vent (Sotavento). Nous ferons escale dans 2 des îles situées au nord-ouest de l'archipel: São Vicente, destination naturelle pour les plaisanciers en préparation pour la transatlantique, et l'île qui lui fait face: Santo Antão, paradis des trekkeurs.
L'identité du Cap-Vert est bien entendu très fortement influencée par le Portugal, qui régnait en maître jusqu'à l'indépendance du pays en 1975, après l'effondrement de la dictature de Salazar.
En se promenant dans Mindelo, cet héritage colonial habite les façades colorées.
Le style colonial des bâtisses est toujours un plaisir pour les yeux - mais le pays ne saurait se définir que par son influence portugaise: le Cap-Vert fut une plateforme d'échanges entre l'Afrique, l'Europe et les Antilles, dont la première activité était la traite d'esclaves. Il ressort de ces transits de populations un métissage extraordinaire, des vibrations musicales aux influences diverses, des accents d'Afrique et des sons de Jamaïque. L'identité des habitants est complexe, et passionnante à découvrir.
Comment parler du Cap-Vert sans évoquer la réputation du pays, considéré comme l'un des plus pauvres du monde? L'eau y manque cruellement, expliquant pour beaucoup l'absence de richesse…Le pays dépend grandement des importations, en provenance de l'UE mais aussi de la Chine - et exporte en majorité des bananes et du poisson à l'étranger. Le pays importe 85% de ses denrées alimentaires. Le tourisme, la pêche et les transferts de fonds de la diaspora sont les principales ressources du pays. Les gens vivent modestement, mais ne semblent pas malheureux pour autant. Nous avons vu quelques enfants mendier lorsque nous étions dans des contrées reculées, mais cela nous semble épisodique: en majorité, les Cap-Verdiens sont contents de revoir des touristes chez eux, et se plaisent à discuter dans un français tout à fait correct avec les plaisanciers. C'est un peuple accueillant, qui échange “gratuitement”, sans demander systématiquement d'argent en retour, tout en aimant faire découvrir à l'étranger les merveilles de son île.
Il n'y a qu'à se laisser envoûter par les sonorités du créole portugais, surtout lorsqu'il est mis en musique dans l'un des nombreux airs lancinants propres à la morna capverdienne…
Alors c'est parti, branchez une chanson de Césaria Evora ou découvrez le pep's d'Elida Almeida, et partez avec nous en musique dans ces contrées dépaysantes, où paysages, visages et villages ne peuvent que vous enchanter…
São Vicente, l'effervescence d'une île tournée vers la mer
Mindelo, la capitale de Césaria Evora
En touchant terre au Cap-Vert, nous nous familiarisons avec la vibrante ville de Mindelo, capitale culturelle de l'archipel.
Ce qui frappe, à l'arrivée, c'est de voir à quel point la vie grouille dans les rues. Les habitants sont dehors, s'apostrophent, parlent, crient, chantent, jouent, rient. Parfois, ils sont juste là, à observer ce qui se passe. Une femme nous alpague, tentant de nous vendre un poisson entreposé dans sa bassine en plein soleil. Une autre attire notre attention, pour lui acheter un fromage, des bananes ou de la papaye. L'effervescence de la ville tranche avec le calme marin qui nous a habités pendant les cinq jours de mer pour atteindre les îles. Un peu sonnés par une telle cacophonie, nous réalisons que le Covid est une menace modérée dans le pays. Presque la moitié de la population a moins de 25 ans. Dans les rues, le masque est de rigueur. Les habitants se plient globalement à cette mesure, mais les dérogations sont monnaie courante, vu qu'il n'y a aucun contrôle.
Mindelo, c'est aussi - et surtout - la capitale de Césaria Evora (1941 - 2011). Icône nationale, nous la rencontrons à tous les coins de rue: en photos, sur les murs avec le street art, dans les bars en musique. La “diva aux pieds nus” est la fierté du pays. Le Cap-Vert capitalise sur cette figure emblématique pour développer le tourisme.
L'ambiance est à la convivialité dans les rues de Mindelo: les tonalités pastel et les couleurs plus vives égaient la ville. La vie y est trépidante en semaine, mais se vide le week-end: chacun part se ressourcer en famille ou entre voisins.
Impossible de visiter Mindelo sans se perdre dans les étals du marché africain. De nombreux Sénégalais et Bissau-guinéens y vendent habits, chaussures, sacs, montres contrefaites, ou artisanat local ou produit en série…
Un artisanat cap-verdien se développe néanmoins: cosmétiques naturels, produits tressés avec des feuilles de bananier, bijoux, poterie, vannerie, mobilier…Une ancienne journaliste de 70 ans a créé un concept store pour sourcer ces produits de qualité fabriqués sur place: paraît-il que les Cap-verdiens ne croyaient pas eux-mêmes en la spécificité de leur artisanat! Il aura fallu le regard d'une étrangère pour le reconnaître à sa juste valeur et le développer, au lieu d'importer des statues, bracelets et cendriers d'Afrique.
Enfin, vous ne pouvez séjourner au Cap-Vert en passant à côté de la cachupa, le plat national. Ce ragoût à base de maïs, d'haricots de toute sorte, de viandes mélangées, est goûtu, plutôt bon, surtout quand il est arrosé d'un grogue - le rhum distillé localement.
Vamos a la playa
Qui dit Cap-Vert dit mer. Il suffit de faire quelques dizaines de mètre depuis le centre de Mindelo, pour accéder à une plage sublime. La couleur de l'eau y est étonnante: aigue-marine, le bleu est sublime.
Avec trois autres équipages, nous embarquons à bord d'un pick-up pour visiter deux autres villages reculés.
San Pedro, tout d'abord, village artisanal de pêche. De nombreuses barques en bois coloré se succèdent à l'eau, tandis que les gens s'y agglutinent pour décharger de généreuses cargaisons. Un thon ou deux, parfois, en constituent le butin.
Les habitants échangent avec nous, sont curieux de connaître notre ville de provenance. La vie est rude dans ce petit village: le Covid a porté un coup d'arrêt au tourisme naissant.
Au détour de discussions animées, nous plongeons dans l'océan pour une expérience inédite: nager avec des tortues de mer! Symbole du Cap-Vert, la tortue est désormais une espèce protégée, après y avoir été chassée. Elles sont plutôt paisibles, même si j'ai eu le sentiment de me faire courser…
Une autre journée, direction Salamansa pour rejoindre le spot de Kitesurf. Kévin y passe une session de rêve, dans des conditions idylliques, tandis que je me promène dans les dunes environnantes.
En quelques journées, nous parcourons les principaux sites dignes d'intérêt de Sao Vicente et nous apprêtons à suivre le conseil de nombreux voyageurs: nous rendre sur l'île d'en face, Santo Antão.
Santo Antão: le paradis sur terre
Le jardin d'Eden existe
Vous le trouverez sur l'île de Santo Antão, dans la Vallée de Paul.
Imaginez-vous...vous enfoncer dans une faille verdoyante, au rythme d'un minibus Toyota gravissant l'impressionnante route pavée dont la construction a coûté la vie à de nombreux travailleurs.
Peu à peu, le décor change: d'un paysage sec et aride, nous sommes entourés d'une végétation foisonnante, de plateaux de verdure, d'un relief déchiqueté, de cultures terrassées. Jamais nous ne nous étions retrouvés dans un tel havre de paix.
Des hauteurs, nous savourons cet improbable paysage composé de pics rocheux parsemés de forêts, de sentiers escarpés, de modestes villages habités.
Loin de nous une organisation stricte de l'espace: le décor nous fait penser à Madère, en plus vaste, en plus insaisissable, en moins organisé. C'est un vaste jardin à l'anglaise, romantique et désordonné.
La papaye est partout, tout comme les caféiers. Ce n'est pas la saison, mais nous reconnaissons les feuilles des avocatiers et manguiers.
L'endroit est assurément rural, isolé de toute civilisation moderne. S'y enfoncer procure un sentiment d'apaisement instantané.
Chiens et chats errent en liberté. Parfois, nous croisons un âne, une vache, un cochon, des poules ou des lapins, permettant à une famille de subsister ou de transporter des denrées ou du matériel.
Hommes et femmes sillonnent d'un pas nonchalant mais énergique les sentiers cachés des environs, un fardeau bien calé au sommet du crâne.
Et partout, comme une fontaine de jouvence, l'eau ruisselle le long des galets amoncelés.
Des maisons traditionnelles s'insèrent dans un paysage préservé: des familles s'y rassemblent, tous les âges y sont représentés.
Nous comprenons qu'il est inutile de vouloir faire ses courses dans un supermarché: les échanges se font de main à main, ici. Un voisin tue un cochon, il en vendra quelques kilos à ceux qui savent se renseigner.
Une voisine a des poules: elle échangera ses oeufs contre une autre denrée. Parfois, nous apercevons un jardin potager: plants de tomates, d'aubergines, choux, oignons, salades...loin des habitants la monoculture.
Ils cultivent ce dont ils ont besoin, et servent même à approvisionner Sao Vicente. La tradition paysanne de la vallée s'enrichit d'une récente culture marine: à Ponta Do Sol, au nord de l'île, des pêcheurs s'élancent sur leur frêle barque colorée, pour ramener un poisson imposant, aussitôt dépecé.
Certes, c'est le système D: tout peut sembler galère, ici, tant le développement semble avoir déserté l'île. Cependant, ce n'est pas pour rien que quelques Français ont choisi d'y poser leurs valises.
Cela interpelle, tout de même: on est si loin de tout, ici, le chemin est long depuis la France...mais ce n'est pas pour rien que ce lieu magique et préservé a su attirer dans ses filets des compatriotes prêts à s'y installer.
Noël à Santo Antão
C'est comme ça que nous avons fait la connaissance de Katia. Dans la communauté des voileux, tout le monde en parle. "Allez absolument à Santo Antão et séjournez chez Katia", nous lisons sur la boucle d'échange.
Katia, c'est une Française, cuisinière de formation, qui a ouvert une chambre d'hôtes, tout en cuisinant des merveilles dans un hôtel à proximité.
Ni une, ni deux, nous nous sommes démenés pour obtenir son numéro, et organiser un séjour chez elle. Cela tombe bien, toute une tribu est prête à y aller.
Noël approche: il est temps de nous projeter. Loin de nos familles, nous souhaitons vivre cette fête bien entourés.
Au final, nous sommes une tribu de 15 joyeux lurons à embarquer sur le ferry, pour 3 jours de vie en communauté.
Les talents culinaires de Katia sont avérés: à partir de peu, elle parvient à nous régaler le temps d'un dîner. Le reste des repas, nous le ferons tous ensemble.
Pour Noël, chacun revêt sa tenue colorée: le boubou est de rigueur, ce soir ça va zouker.
3 équipages se répartissent la préparation d'un menu de fête: apéritif, plat principal et dessert. Tout fonctionne à merveille, et nous avons tous concocté un plat soigné, en dépit des maigres ressources locales.
Ce Noël est insolite, joyeux et solidaire...nous dansons une bonne partie de la soirée.
Si cela contraste avec un dîner endimanché autour d'un foie-gras fait-maison et d'une coupe de champagne, il n'empêche que nous fêtons le Birthday de Jesus dans la joie et la bonne humeur.
Après trois jours de franche rigolade et de randonnées, c'est un crève coeur de repartir de cette île. Nos intestins ont un peu souffert des fêtes: sans avoir trouvé le coupable, mieux vaut retrouver notre malle de médicaments...
C'est tellement bien, qu'on y revient!
C'était sans compter les caprices d'Eole: la fenêtre météo peine à arriver pour traverser l'Atlantique. Nous n'envisageons pas de passer 10 jours supplémentaires à Mindelo, et à peine 2 jours après notre retour, nous décidons avec Kévin de retourner dans la vallée, cette fois-ci à l'hôtel.
Enfin, deux jours de vrai repos...et de dénivelé. Une randonnée grandiose nous amène jusqu'au cratère, à l'arête et nous fait redescendre à travers les nuages.
Pour nous remettre de ces 18km et +1200m de dénivelé, nous flânons au bord de la piscine, et apprécions le déjeuner du 31 décembre au soleil, autour d'une salade colorée.
Qui aurait imaginé que nous nous sentions si bien le dernier jour de l'année?
Retour en ferry pour ne pas louper le 31 décembre à Mindelo: nous assistons à un concert à l'Alliance Française avec rien de moins que le pianiste de Césaria Evora! Puis direction Force 6, un catamaran en tour de l'Atlantique, pour un apéro dinatoire bien sympathique et festif!
Préparatifs pour la transat
Le nouvel an est passé…Enfin, nous y sommes: la transatlantique approche!
Nous sommes impatients de vivre cette expérience en mer. La météo est capricieuse. Les dépressions sont très sud cette année, et perturbent le régime des alizés… Nous devons donc nous montrer patients et attendre la bonne fenêtre météo. En même temps, nous avons du pain sur la planche. Entre le clean intégral du bateau à l'intérieur et à l'extérieur, l'avitaillement, l'inventaire des courses et du matos de sécu, les réparations…nous ne manquons pas d'occupation. Les journées sont denses. Le bateau se prépare peu à peu, l'équipage avec.
Après plusieurs jours de préparatifs, ça y est, nous pouvons dire que nous sommes fin prêts pour TRAVERSER L'OCEAN ATLANTIQUE! Youhou, rien qu'à l'écrire, nous en avons des frissons d'excitation!
Nous avons vraiment hâte de prendre la mer. Rendez-vous de l'autre côté, aux Antilles, que cela soit en direct des Grenadines ou de la Martinique! Le Covid décidera…