Une fois n'est pas coutume: à mon tour de prendre le clavier! Une chose se confirme: je suis plus à l'aise avec le réglage des culbuteurs du moteur que l'écriture sur le blog. Je me plie néanmoins à l'exercice, pour moi aussi apporter ma patte à l'ouvrage, en espérant vous retranscrire de façon vivante les quelques semaines passées aux Grenadines. Bonne lecture!
Young Island: un atterrissage en douceur après la transat
C'est bon: la traversée, c'est digéré!
Nous vous avions laissés avec un récit copieux concernant cette traversée de l'Atlantique éprouvante. C'était il y a plus d'un mois. Le moral était alors un peu entamé: la fatigue accumulée ne nous permettait pas d'y voir totalement clair. Puis, nous avons passé une bonne nuit, sorti le bout du nez de la descente, observé le paysage environnant et, déjà, de cette expérience difficile nous commencions à ressentir une certaine fierté: nous n’avons pas fait toute cette route pour rien et méritons les beaux mois à venir.
Ajoutez à cela 6 jours de quarantaine fort sympathiques, des apéros clandestins, les messages de nos proches nous faisant prendre conscience de « l’exploit » réalisé à l'échelle de notre parcours ainsi qu’un article sur notre aventure dans Voiles et Voiliers, et nous nous projetions déjà dans notre prochain achat de voilier!
On est dans le journal! La bonne surprise de l'arrivée
T'es plutôt côtier ou grand large?
Le voyage au long cours présente deux volets: la découverte de nouveaux pays, capitales, villes, îles et archipels d'un côté et les traversées d'un autre, qui nous permettent d'atteindre ces nouvelles destinations, par nos moyens, avec notre maison sur le dos.
Des marins préfèrent le premier volet, d'autres le second. Nous concernant, nous ne faisons pas partie de ce dernier groupe, qui rêve secrètement que la mer s'étire, tellement ils apprécient le large.
Nous faisons partie du premier groupe, celui qui fait les traversées principalement pour accéder à un nouveau terrain de jeu, découvrir une nouvelle culture, laisser dans le sillage un paysage que nous avons eu le temps de décortiquer, nous laisser surprendre par celui qui apparaît à notre étrave, après des jours de navigation et d'efforts. Et comme rien n'est toujours tout blanc ou tout noir, je vis aussi pendant les traversées des moments absolument exceptionnels. Pendant la transatlantique, je me suis entraîné à reconnaître les constellations, ce dôme scintillant et totalement hypnotisant qu'on ne voit plus en ville. S'éloigner autant des côtes devient un luxe pour assister à ce spectacle nocturne. Tracer sa route et décider des stratégies de voilure, de route est tout aussi stressant qu'amusant. Enfin, le confort à bord étant bien réduit, un tout petit plaisir devient une grande joie! J'écris ces lignes 3 semaines après notre retour et le cerveau a fait son travail de tri, les souvenirs plus difficiles ont été remodelés de manière positive, les bons souvenirs resteront gravés pour toujours. Les expériences vécues aux Grenadines seront magnifiées par le chemin qu'il a fallu parcourir pour y accéder.
La quarantaine: l'opportunité de se reposer
La quarantaine à Young Island est une pause bienvenue après cette traversée. D'une part nous avons besoin de nous reposer, d'autre part nous apprécions le fait de nous arrêter toute une semaine au même endroit.
Le déplacement incessant en voilier apporte son lot de découvertes, et par la même occasion, exige constamment de trouver de nouveaux repères. Cela représente parfois un effort de sur-adaptation constant et fatigant. Rester une semaine au même endroit est donc une opportunité plutôt qu'une contrainte.
Oups, on a failli couler
Dans les péripéties de cette escale, il serait dommage de ne pas mentionner que nous avons failli couler. Pour les marins et mécaniciens, voici l'histoire:
Nous étions partis remplir les cuves d'eau et retournions au mouillage. Au moment de mettre la marche arrière pour casser l'erre du bateau et étaler la chaîne, voilà que je ne sens plus du tout de puissance. Nous terminons de mouiller pour sécuriser le bateau. Je vais inspecter le moteur … qui tourne comme une horloge, comme a son habitude. Je remonte donc la chaîne de puissance et arrive à l'axe d'hélice… qui n'était plus connecté au tourteau (pièce qui solidarise l'axe avec l'inverseur et donc le moteur). Il s'agit de l'une des avaries les plus graves qui puissent arriver: l'axe du moteur peut alors s'échapper du presse étoupe et un trou de 25mm de diamètre laisse le champ libre à une voie d'eau, qui peut remplir le bateau en quelques minutes.
Heureusement, nous n'avons rien à déplorer! Pas une goutte dans le bateau et pour cause: l'axe du moteur s'est arrêté 1 mm avant de sortir du presse-étoupe. Nous avons été sauvés par les anodes sacrificielles de l'axe d'hélice, ces colliers de zinc étaient placés de manière à bloquer la sortie de l'arbre d'hélice dans la chaise de l'arbre si nous rencontrions ce problème. Un conseil que nous avait donné le responsable du chantier de Bleu Marine à Dunkerque: MERCI à François! MERCI aussi à Laurent de Khaïma (une fois de plus) qui m'a aidé à reconnecter tout ça et à le sécuriser. Ces amitiés de la mer sont précieuses et permettent clairement de rendre l'expérience humaine de ces voyages fantastique.
Après 21 jours à bord, le premier pas à terre
Une fois libres de nos mouvements, nous mettons pied à terre après 21 jours dans le voilier, drôle de sensation entre plaisir de retrouver cette liberté et un sentiment d'agression par les bruits et l'effervescence d'une ville pourtant de taille modeste. Après avoir manqué de se faire écraser 3 fois par des gros SUV américains hurlants et lancés sur une piste de bobsleigh à toute berzingue, on fait vite nos courses et on retourne parmi les poissons et les coraux pour préparer notre départ vers des îles plus hospitalières des Grenadines.
Nous quittons notre lieu de quarantaine avec impatience et organisation. Impatience car il nous tarde de découvrir les autres îles des Grenadines et organisation car il nous faut préparer le bateau pour naviguer à nouveau après une semaine au mouillage. La configuration mouillage / navigation étant bien différente: dans le premier cas, serviettes, palmes, sacs, trousses à outils, paddles, annexe, bidons d’essence et autres objets insolites sont de sortie, formant un bazar plus ou moins organisé. En navigation, tout doit être calé pour éviter de voir passer en lévitation de bâbord à tribord et inversement, casseroles, chaussures, cocottes minutes, paquet de semoule, électronique. Cette fois-ci, il nous faut rendre Amorgos encore plus beau de l’extérieur, car nous allons profiter de la navigation pour faire des photos en action!
Quelle joie de retrouver le plaisir d’une courte navigation pour relier un beau mouillage vers un mouillage encore plus somptueux. Le vent est est légèrement portant, les vagues nous font surfer, toute la toile est de sortie, il fait beau, il fait chaud... les conditions sont idylliques! Merci aux photographes de Khaïma pour ces beaux souvenirs avec Amorgos.
1ère étape: se ravitailler à Bequia
Bequia est une jolie baie orientée vers le tourisme nautique. On en profite pour refaire le plein de toutes les ressources dont nous aurons besoin pour 3 semaines en autonomie dans les îles Grenadines: eau dans les cuves, eau potable, nourriture, gasoil et gaz. Le dépaysement est total. Nous commençons à réaliser que nous entrons dans une parenthèse de quelques mois au paradis.
Les Grenadines: eau turquoise, langoustes et cocotiers
Allez, on le sait, depuis le début de l'article, vous attendez les plages de sable blanc, l'eau cristalline, les mouillages de rêve…Nous y voilà! Il fallait simplement le temps de s'y préparer. Les cales sont pleines, la météo est bonne, nous pouvons embarquer.
Avertissement: Si la vue de ces paysages somptueux vous est trop pénible en ces temps de couvre-feu et de conditions hivernales, nous vous invitons à passer directement au paragraphe “l'envers du décor”.
Mayreau une île authentique et préservée
Les petites Antilles sont connues pour la richesse de leurs fonds marins, les eaux turquoises, les plages “carte postale” avec cocotiers inclinés vers la mer.
Mayreau fait honneur à cette réputation. Cette petite île de 250 habitants a su se préserver du tourisme de masse . Elle assure une certaine activité continue malgré le ralentissement économique lié à la crise du Covid-19.
L'île bénéficie d'électricité depuis 2002 et un système de récupération d'eau de pluie permet de cultiver et d'avoir une autonomie en eau douce. C'est rare pour être souligné: la plupart des autres îles n'ont pas de désalinisation d'eau et dépendent entièrement de Saint-Vincent pour boire! Et quand on voit le prix des bouteilles d'eau…
L'équilibre économique de Mayreau tient à sa pluriactivité: pêche, culture d'algues et tourisme font vivre les habitants. L'œil de coton est une algue recherchée. Elle pousse sur des filets que les cultivateurs disposent en mer, puis font sécher au soleil. Cette algue a de multiples vertus, telles la lutte contre les problèmes d'arthrose et de thyroïde. Elle est consommée sous forme de soupe, en glace ou en soda.
Mayreau est aussi l'île sur laquelle nous nous sentons le plus accueillis par la population. Nous sommes 8 bateaux au mouillage, ce qui nous permet de demander à Robert le rasta d'ouvrir son bar rien que pour nous. Ravi de retrouver une activité pour un soir, il ne manque pas l'occasion d'improviser un concert de djembé avec ses fils, tout en nous abreuvant de Piña Colada bien chargées!
Les Tobago Cays: l'archipel du bout du monde
Enfin, les alizés nous donnent un peu de répit. De 25 nœuds établis et 30 en rafales, nous aurons pour les quelques jours à venir 15 nœuds établis. Nous attendions ce créneau avec impatience pour mettre les voiles vers les Tobagos Cays. En effet, cet archipel au vent de l'arc Antillais est exposé et peu protégé du vent, ce qui rend le mouillage et les plongées peu confortables quand ça souffle fort.
Nous arrivons par la passe sud en évitant les patates de corail: Amorgos trouve sa place au milieu d'une dizaine d'autres bateaux au mouillage. En temps normal, ce sont plutôt 200 bateaux qui squattent les lieux!
Les îlots de l'archipel sont paradisiaque: plages, langues de sable, cocotiers, palmiers, vues panoramiques nous en mettent plein les yeux.
Sous la coque du bateau, tortues marines, raies pastenague et raies léopard déambulent avec grâce. Il n'y a qu'à passer la tête sous l'eau pour les admirer. Sur les spots de snorkeling, des poissons aux couleurs tropicales rendent chaque plongée féerique. Les balistes noires, par exemple, présentent une couleur noire intense sur l'intégralité du corps et un fin liseré blanc lumineux sur la queue. Quand on voit dans une même plongée masque-tuba un requin dormeur, une raie léopard, une tortue marine, des barracudas de 1,5m de long et une multitude de poissons tropicaux… on peut s'estimer extrêmement chanceux.
Ne nous demandez pas de photos de cet univers subaquatique merveilleux: la GoPro a eu l'angoisse du retour en métropole et a préféré se perdre dans les patates de corail. Bien planquée, elle a résisté au fin ratissage de la zone par ses propriétaires…
Alpagués par des boat boys, nous cédons à l'attraction locale: le barbecue de langoustes sur la plage. Il suffit de réunir une bande de batocopains et le tour est joué.
L'île d'Union: parfaite pour apprendre le kitesurf
Du kitesurf, Pauline en a déjà fait à Dunkerque. A l'époque, j'avais quelque peu surestimé mes capacités d'instructeur: suite à une fausse manip', nous nous étions envolés tous les deux, tels Mary Poppins, pour nous écraser quelques mètres plus loin sur un fond de sable. Cela nous avait valu un ticket d'entrée pour les urgences, avec une suspicion de trauma crânien.
Trois ans plus tard, elle est prête à retenter le coup (persévérante), mais pas sans un bon instructeur professionnel (prudente) et dans des conditions propres à un apprentissage agréable. Comprendre: dans une eau un peu plus chaude qu'à Dunkerque.
Union Island possède une baie, Frigate Island, qui rassemble tous ces critères. Il est généralement compliqué de trouver une zone de mouillage compatible avec la pratique du kitesurf: en bateau, on cherche à s'abriter du vent alors que le kite nécessite d'y être exposé. Mais la baie de Frigate Island est parfaite pour ça, le bateau est sous le vent d'un îlot et, en se décalant de 300 mètres, nous nous retrouvons exposés à un bon vent pour le kitesurf. Par ailleurs, une barrière de corail, une mangrove puis une digue cassent la houle: cela en fait un spot “flat”, c'est à dire plat, car sans clapot ou vagues.
Au nord de Frigate se trouve Clifton, capitale d'Union Island.
Nous varions les plaisirs entre les deux spots de kite, entourés de la barrière de corail.
Nous passons plusieurs jours sur ces spots de kitesurf de rêve, le temps pour moi de progresser et pour Pauline de tirer ses premiers bords.
Avant de quitter Union Island, nous nous rendons dans la baie de Chatam, magnifique pour plonger et faire un peu de randonnée.
La face cachée des Grenadines
Les Grenadines ne peuvent qu'enchanter le plaisancier de passage. Les paysages sont dignes des meilleurs fonds d'écran Windows, la faune et flore marine et terrestre sont magnifiques, nous avons pu pratiquer le kitesurf dans des spots réputés. Bref, c'est le paradis…du vacancier. Derrière ce bijou de la nature se cache une face plus sombre, sur laquelle nous n'avons pas voulu, ou pu, fermer les yeux.
Corruption, dépendance au tourisme et inégalités
Moustique, Canouan…ça vous dit quelque chose? Aux Grenadines, jet-set et stars en quête de soleil y collectionnent yachts, villas et hôtels de luxe. Paradis fiscal, certaines îles sont aménagées pour une clientèle richissime, rejoignant propriétés démesurées en un coup de jet privé.
Malheureusement, cette manne financière ne semble pas profiter à la population locale. La pauvreté des habitants se perçoit derrière des bicoques mal rafistolées, une dépendance totale vis-à-vis de l'île de Saint-Vincent pour l'eau et la nourriture, des prix faramineux pour s'alimenter et la propension de personnes droguées. On le voit, les gens sont loin de rouler sur l'or, et donnent plutôt le sentiment de vivoter. La sophistication des complexes hôteliers contraste avec la précarité des autochtones.
Voyager en temps de Covid met en valeur les excès du tourisme de masse, du tourisme de luxe et de l'industrie nautique. Complexes hôteliers désertés, population au chômage technique…les îles exclusivement tournées vers le tourisme se retrouvent empêtrées dans une crise dont elles ne sont pas sûres de voir le bout.
L'Etat semble défaillant, aussi: corruption massive et services publics quasi inexistants rajoutent une couche aux inégalités. A en voir les sourires édentés et les poubelles brûlées à l'air libre lorsqu'elles ne sont pas déversées dans la nature, on ne peut que constater l'absence d'un système de santé et d'une collecte et traitement des déchets. C'est triste, on se sent impuissant, mais c'est ainsi. Le mieux que l'on puisse faire, en tant que plaisancier, est de garder nos poubelles à bord, ce que nous nous sommes efforcés de faire jusqu'à la Martinique.
Un archipel déjà victime du réchauffement climatique
Ce qui nous aura le plus touché pendant cette étape aux Grenadines, c'est l'impact flagrant du réchauffement climatique.
Les barrières de corail ont presque intégralement blanchi les 5 dernières années. Cela signifie que le corail est mort. Sans faire pleurer dans les chaumières, constater dans les plongées au Tobago Cays que les couleurs vives du corail ont laissé place à une blancheur grisâtre ne peut que nous rendre conscients de la rapidité du phénomène. L'augmentation de la température des océans, l'acidification des mers liée à l'accroissement de CO2 au niveau mondial et les phénomènes météorologiques plus extrêmes - que les barrières ne sont plus capables de supporter - sont la cause au blanchiment des coraux, pourtant indispensables à la vie sur terre. Les Grenadines sont des îles fragiles, qui souffriront bien vite de la montée des eaux et de la destruction des écosystèmes.
L'instant cocorico
Ces îles nous rappellent la chance que nous avons en Europe de bénéficier de services publics efficaces, et, de façon plus terre-à-terre, d'une telle diversité alimentaire. Aux Grenadines, les étalages des superettes sont essentiellement constitués de boîtes de conserves et de denrées sucrées: le choix est maigre et tout coûte extrêmement cher. Même les fruits et légumes sont hors de prix: les 500g de tomate sont à 4 euros et l'ananas produit localement revient à 10 euros pièce! Bon, il faut dire qu'il est aussi un sport national d'essayer de gonfler les prix lorsqu'un plaisancier s'avitaille... à tel point que les équipages s'organisent en amont de leur voyage pour faire des courses dans des échoppes mieux fournies et moins hors de prix. Je ne suis pas sûr que globalement, cela bénéficie à l'économie de l'île…
Dernière escale dans un anse de pirates
Heureusement, une dernière escale sur l'île de Saint-Vincent nous redonne du baume au cœur. A contrario d'autres îles plus touristiques, Saint-Vincent est plus verdoyante et cultive beaucoup de fruits et légumes. Une célèbre école de permaculture y a même établi ses quartiers! Le tourisme est moins prononcé que sur les autres îles: on sent que les paysages sont davantage préservés, l'atmosphère plus authentique.
Avant de rejoindre la Martinique, nous nous sommes arrêtés dans baie de Cumberland et, au fil des balades, avons découvert une vallée autosuffisante en légumes, eau et électricité.
Amarrés à une cocoteraie, nous savourons nos derniers instants aux Grenadines dans un cadre idyllique. Le resto-hôtel collaboratif de John fait aussi résidence d'artistes: bonne ambiance, tours de magie d'une troupe en vadrouille, végétation luxuriante, chevaux en liberté, potager, rivière avoisinante…cette pause est rafraîchissante et nous éblouit avant de prendre la mer de nuit pour une navigation jusqu'à la Martinique.
Après un mois passé dans le pays, nous mettons les voiles vers la Martinique, heureux de ce qu'on a vécu et impatients de découvrir ces territoires ultramarins dont on a si souvent entendu parler.