La transat retour. La fameuse. Inéluctablement, elle arrive. Plus redoutée que la “transat aller”. Par sa réputation, déjà, et par notre expérience, aussi: la transat aller était éprouvante, pourquoi la transat retour le serait-elle moins?
La durée est plus longue: trois semaines au lieu de deux, la météo plus complexe, les risques plus grands. Les anciens propriétaires du bateau se sont tout de même retrouvés dans 70 noeuds de vent en revenant de leur boucle Atlantique en 2017! Mieux vaut ne pas trop en savoir sur les 48h de l'enfer qu'ils ont vécu avant d'être rentrés de notre voyage: nous savons que l'incompétence de leur routeur à terre y était pour beaucoup, mais nous ne tenons pas plus que ça à nous projeter dans le récit qui en a été fait. La lecture en sera faite une fois installés sur un confortable canapé, munis d'une tasse de thé fumante face au poêle chaleureux d'une maison bretonne.
En prenant le large du Cap-Vert vers les Antilles en janvier, nous savons que nous nous engageons sur le chemin inverse. Si on fait l'aller, on fera le retour, pour que la boucle soit bouclée. Bien sûr, il ne faut rien dramatiser: si vraiment nous le voulons, nous pouvons revendre le bateau aux Antilles et nous arranger pour rapatrier nos malles en Europe. Il y a des solutions à tout, mais la volonté d'être à la hauteur du projet pallie notre courage parfois vacillant. Aussi: on a un peu peur de cette traversée, mais on a aussi envie de la faire!
C'est donc avec une légère boule au ventre que nous voyons les jours heureux en Guadeloupe se réduire à peau de chagrin: le compte-à-rebours est lancé. Bientôt, il nous faudra reprendre la mer, s'habituer à nouveau au rythme du large, retrouver cette lenteur bienfaisante et parfois pesante de la vie hors du temps. Nous choisissons d'accueillir une troisième personne à bord, pour partager les quarts et égayer l'ambiance du bord. Alexandre, que Pauline connaît des Glénans pour avoir fait quelques navigations avec lui, arrive de France le 16 avril. Nous espérons partir dès le 23.
La météo: l'enjeu de la transat
Si la transat retour est plus risquée qu'à l'aller, c'est parce-que le système météo n'est pas identique. À l'aller, il “suffit” de se laisser porter par les alizés jusqu'aux Antilles - qui nous ont plutôt propulsés que poussés vu leur forme olympique en janvier dernier. Le chemin est suffisamment sud pour éviter les dépressions qui se forment dans le Nord de l'Amérique et balaient l'océan d'Ouest en Est. Pour le retour, le passage vers l'Europe se fait par les Açores. Il est nécessaire de remonter à des latitudes beaucoup plus Nord afin de se rapprocher de nos côtes. Cela signifie: se positionner entre deux systèmes météos:
- un anticyclone formé au niveau la Floride, se décalant vers les Açores (le fameux “anticyclone des Açores” d'Evelyne Dhéliat) à contourner en remontant plein Nord-Est afin de se positionner en son Nord et bénéficier des vents portants
- une ou des dépression(s) en provenance du Labrador ou de la Floride, qui vient / viennent balayer l'Atlantique nord.
Ainsi, l'enjeu est double:
- remonter suffisamment au nord pour ne pas se retrouver bloqués dans une dorsale anticyclonique et passer de nombreuses journées en mer à attendre que le vent revienne (au coeur de la dorsale, il n'y a pas un souffle d'air).
- ne pas remonter trop nord non plus pour éviter de se retrouver au coeur d'un système dépressionnaire face auquel nous serions bien peu de chose étant donné la vitesse d'escargot à laquelle avance notre bateau.
Notre mission: nous y préparer
Depuis nos quartiers Lillois, nous nous sommes demandés comment nous engager en toute confiance dans cet océan d'incertitude, sur lequel nous serons à la merci des éléments. Le premier confinement a certes ralenti les préparatifs de notre voyage, mais il a aussi été source d'opportunités. Face à l'impossibilité de nous rendre dans un centre de formation pour apprendre “en présentiel” les rudiments de la météo, du routage, des premiers soins et de la survie en mer, nous avons découvert que des professionnels de la voile dispensaient des formations en ligne.
Ainsi, nous nous sommes tous deux formés auprès de Christian Dumard - ancien navigateur de haut niveau et routeur du Vendée Globe - à la météo hauturière, à l'utilisation de Windy pour les prévisions météo, au logiciel SquidX pour le routage. À la fin de la formation, l'animateur garantissait notre autonomie pour la réalisation d'un programme Atlantique classique. En somme, ce qui est en apparence compliqué et hors de notre portée s'avère finalement assez simple. Il faut savoir se lancer: nous décidons de nous router nous mêmes. La météo, ce n'est pas si sorcier que ça, grâce à une compréhension des systèmes généraux et grâce à la qualité des prévisions météo que nous pouvons recevoir avant de partir (choix du créneau météo) et en mer grâce à notre Iridium.
Avant le départ, nous passons tout de même un coup de fil à Christian Dumard, pour nous assurer de ne pas partir dans un excès de confiance quant à nos maigres compétences en la matière. Il nous confirme que nous pouvons partir sereins, valide le créneau météo choisi, et se propose de nous fournir une analyse météo en cas de gros doute lors de la transat. Cette solution est idéale pour nous: nous sommes autonomes tout en pouvant faire “l'appel à un ami” si besoin. Notre désir d'apprentissage est comblé, car nous aimons apprendre sur le tas plutôt que nous faire téléguider jusqu'aux Açores, et notre sécurité assurée.
On le sait, on l'a déjà vu ensemble: “qui regarde trop la météo reste au bistro”, alors à un moment yallah il faut y aller: en route pour la grande traversée!
La transat retour: 3 semaines, 3 temps forts
Le départ
Vous commencez à le connaître, nous vous épargnons le ballet des mille et une petites et grandes choses à faire avant de larguer les amarres. Avoir assez d'eau, de nourriture, un bateau et un équipage parés à prendre le large, une météo et un routage prêts: voilà les éléments clés à assurer.
La remontée vers le Nord-Est
La première semaine, nous cherchons à remonter vers le Nord-Est pour aller à la rencontre d'un anticyclone qui, en le contournant par l'Ouest, nous emmènera avec un vent portant vers l'Est. Dès le lendemain du départ, le bateau glisse au près, sur une allure appuyée (ce n'est pas le roulis de la transat aller!). Le près n'est pas l'allure préférée des marins en général, car elle implique de vivre penchés. Vu les conditions, à savoir vent régulier et une mer lisse, le confort est excellent: pour une grande traversée, nous sommes dans un 4 étoiles!
Le contournement de la dorsale
La dépression
Enfin, nous entrons dans une dépression! En quelques heures, nous allons vivre le passage du front chaud puis du front froid, avec les phénomènes météo associés. Arrêtons-nous quelques instants pour en savoir plus sur ces changements de pression, de température, de météo…
L'arrivée aux Açores
Le bilan
La bonne nouvelle de cette traversée est que nous avons aimé vivre au large pendant 3 semaines! Les conditions agréables et tout à fait vivables des deux premières semaines nous confirment que la haute mer peut être une expérience plaisante, enrichissante, libératrice même. L'état de la mer y est pour beaucoup: dès que l'océan est ondulé sans être déchaîné, la vie du bord est un vrai plaisir. Nous aimons aussi des conditions plus soutenues et “dantesques”, car ce sont elles qui éveillent notre instinct de marin, mais elles sont bien plus usantes pour le corps et l'esprit quand elles tirent en longueur.
Une fois de plus, nous apprécions le fait de vivre pleinement la lenteur d'un voyage en voilier: immersif et expérientiel, le hauturier nous pousse à vivre pleinement au rythme de la planète. Remontée progressive des latitudes, allongement des journées au fur et à mesure que nous allons vers le Nord, refroidissement de la température sitôt la dorsale passée (nous sommes partis de Guadeloupe en maillot de bain tant il faisait chaud et sommes arrivés avec le bonnet vissé sur la tête et 2 sous couches techniques!), évolution de la déclinaison magnétique (perturbation du champ magnétique terrestre) de 19 degrés aux Antilles à 6 degrés aux Açores…tous ces signaux sensorielset terrestres sont de puissants vecteurs du voyage en voilier. En complément des récits de mer, nous vivons la réalité de ces changements.
Notre bilan énergétique est bien meilleur qu'à l'aller: l'orientation du soleil par rapport à notre bateau est telle sur cette trajectoire que nos panneaux solaires ont bien mieux rechargé qu'à l'aller. Etant donné que nous avons beaucoup plus barré qu'à l'aller, nous avions finalement rarement besoin de faire une heure de moteur par jour pour recharger les batteries. Au final, cinq heures de recharge moteur ont suffi sur toute la traversée. C'est un apprentissage de cette année: les panneaux solaires, c'est nickel pour l'autonomie énergétique au mouillage, mais pour la navigation, mieux vaut être équipé d'un hydrogénérateur!
Il reste un mystère, non élucidé à ce jour: nous n'avons pas réussi à pêcher! Les sargasses ont fait capoter nos tentatives de pêche les dix premiers jours: à peine la ligne mise à l'eau, des algues se prenaient à l'hameçon. Nous avons beau remonter la ligne pour la nettoyer régulièrement, rien à faire, aucun thon ne s'aventure dans nos filets! Après les sargasses, les méduses prennent le relais. Les filaments bleutés des physalies - sorte de méduses violacées et transparentes en forme de berlingots - se collent à la ligne de pêche. Ni le poulpe orange ni le poulpe blanc (eh oui, les poissons ont leur préférence…) ne convainc une dorade de se sacrifier pour notre déjeuner.
En revanche, les mammifères marins nous entourent tout au long de notre traversée! Plusieurs bandes de dauphins nous escortent le long de la coque, attirant notre attention par des sauts loufoques ou l'illumination du plancton à leur passage lorsqu'il fait nuit.
Nous apercevons à plusieurs reprises des baleines! En pleine lecture du “Retour de Moby Dick” sur les cachalots, je fais de la mer mon terrain d'observation. Au loin, une dizaine de fois, nous avons aperçu des nuages d'eau en suspension. Leur souffle puissant attire notre attention: avant de replonger pour une trentaine de minutes, les baleines respirent à la surface. Lorsqu'elles sont suffisamment proches, nous entendons même le puissant jet d'eau qu'elles expulsent. Deux ou trois fois, sur la fin de la traversée, des baleines plongent à notre approche. Leur dos bombé et leur nageoire dorsale nous apparaissent…nous laissant deviner qu'il s'agit d'une baleine bleue ou d'un rorqual commun. Les Açores sont le paradis des baleines, nous espérons bien en voir quelques unes plonger devant nous, afin d'admirer la majesté de leur caudale!
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À bientôt pour la découverte des Açores et la dernière grande traversée: celle qui nous ramènera en Bretagne!