Derniers préparatifs à Concarneau
Une cité fortifiée chargée d'esprit maritime
Enfin! Nous avons quitté Port-La-Forêt. Pourtant, ce n'était pas gagné. Tout allait bien: l'avitaillement était fait, la planche à voile fixée sur la filière avant, le bateau prêt à prendre la mer…jusqu'à ce que le moteur émette d'étranges vibrations. A coup de réglages divers et variés effectués par Kévin, les vibrations ont pu être maîtrisées…partiellement. Nous sommes néanmoins en sécurité pour quitter notre port d'attache et prendre la mer. De toute façon, l'équipe d'Accastillage Diffusion nous l'avait bien dit: “Vous êtes encore là! On vous croyait partis". Des personnes qui nous poussent dehors, ça fait du bien. Surtout quand elles nous conseillent des escales pour lesquelles elles ont eu un coup de coeur “Vous allez voir, Bayona, près de Vigo en Espagne…hyper authentique”, “Tenerife aux Canaries, ça va vous plaire”. Forts d'un esprit vagabond et avides de larguer les amarres, nous partons à Concarneau. Autant dire que ce n'est pas la grande aventure, Concarneau est à l'entrée de la baie de Port-La-Forêt! Néanmoins, quitter la France de ce port revêt une signification particulière pour nous. Nous sommes appontés face à la Ville Close, joyau historique dans lequel il est bon de flâner.
Une bonne quinzaine de bateaux de croisière des Glénans - encore et toujours - nous entourent. Ils rentrent d'une semaine en mer. Dans ce port, ça sent l'aventure, les départs et les arrivées du large. Concarneau était une ville particulièrement prospère dans les années 50-60, grâce à l'industrie de la pêche et les conserveries de poissons. Si la pêche occupe encore une place importante dans l'économie de la ville - elle est le 7ème port de pêche français en tonnage débarqué - , elle cohabite aujourd'hui avec d'autres activités sources d'emploi, comme la construction et la réparation navale ainsi que le tourisme. Nous profitons de cette escale pour sortir des sentiers battus et nous diriger vers le quartier des anciens pêcheurs.
Calme et charmant, il débouche sur un sentier côtier magnifique, que nous ne connaissions pas. A voir tant de bateaux au mouillage, nous avons envie d'être les suivants à quitter le port!
Quand partir? En quête des conditions favorables
Décider de partir en mer n'est jamais une mince affaire. Dans le cas présent, le Golfe de Gascogne est réputé comme étant une traversée mouvementée, tant le passage abrupt de 4000 mètres de fond à 200 mètres sur le plateau continental soulève une houle qui a rendu plus d'un loup de mer malade. Il est important de préciser qu'être malade en mer est relativement “normal” les premiers jours. Le corps a besoin de temps pour s'amariner, et même certaines skippers pro sont au plus mal pendant les premières heures de traversée…le corps a besoin de temps pour s'habituer.
En quête de la fenêtre météo idéale, celle qui nous permettra de descendre au portant jusqu'à l'Espagne en direct, nous scrutons l'évolution des modèles météo. Rejoindre la Galice par la Bretagne est le chemin le plus court pour descendre ensuite vers les Canaries et le Cap-Vert. Nous aurions pu longer la côte atlantique française et le nord de l'Espagne, mais cela aurait été beaucoup plus long. Nous avons à coeur de nous préparer au large, et de nous y accoutumer petit à petit: là, on parle de 3 jours de traversée, mais si nous faisons la Transatlantique, il s'agira plutôt de 3 semaines!
Cette traversée, nous l'appréhendons. Certainement parce-qu'il va s'agir de la plus longue traversée que nous ayons jamais faite. Tension et curiosité se mêlent à une bonne donne d'excitation. Indiscutablement, nous avons peur. Peur? Mais de quoi? Peur de nous jeter à l'eau, de quitter la France, d'aller vers l'inconnu, le large. Partir de France représente le début du “vrai” voyage, celui que nous préparons depuis plus d'un an. Il y a forcément de l'attente, mais aussi l'heure de vérité. Est-ce que ça va vraiment nous plaire? Est-ce que nous allons réussir à gérer le bateau à deux dans la durée? Et si nous sommes malades? Et si nous ne dormons pas pendant les trois jours de traversée? Et si, et si, et si....?
Cette fenêtre météo peine à se présenter. La fenêtre d'aujourd'hui s'annonce finalement trop musclée pour reprendre la mer sans violence, et celle du mardi - qui devrait être plus clémente - est en train de s'effondrer comme un château de cartes. La suivante sera probablement le vendredi d'après…c'est à dire dans plus d'une semaine. La déception pointe le bout de son nez. Non pas que nous manquons d'amis à voir en Bretagne, de mouillages à explorer avec notre bateau vers Belle-île, Houat et Hoedic, mais le sens du projet, ce n'est pas ça!
Vendredi soir, nous jetons un dernier coup d'oeil à Windy, notre site de référence pour prendre la météo. Aujourd'hui, c'est bien trop costaud. Nous avons eu raison de ne pas partir. En revanche demain, cela reste musclé, avec une forte houle, mais au moins il y a du vent. Une poche de pétole nous attendra au milieu du Gascogne le 2ème jour, et nous retoucherons du vent à la fin du dimanche, pour nous faire arriver lundi dans la nuit à La Corogne, atterrissage “classique” des Français qui débarquent en Espagne. L'évidence se fait: il faut saisir cette opportunité. Evidemment, on a envie de s'inventer mille excuses: le problème de vibration du moteur n'est pas tout à fait résolu, on n'a pas encore graissé la chaîne de barre, l'étanchéité des hublots n'est pas faite, l'inventaire du bateau pas terminé…Et puis zut, quand il faut y aller, il faut y aller!
Le hasard fait bien les choses
Après une nuit sans sommeil dans l'attente angoissée et impatiente du “grand départ”, je me lève vendredi l'esprit embrumé. Kévin, lui, a heureusement bien dormi. Nous sommes prêts à dérouler la liste des choses à faire d'ici l'appareillage, que nous nous sommes répartie la veille. Préparer les repas pour les 24 premières heures qui s'annoncent musclées, aller chercher du pain, passer dans un magasin de pêche pour acheter des hameçons et leurres au goût des daurades coryphènes et thons que nous espérons attraper en Atlantique, payer le port, faire le routage, gréer le foc de route, fixer le Solent sur le pont, fiabiliser la ligne de vie, vidanger l'huile de l'inverseur…nous cochons peu à peu les taches petites et grandes.
J'aurais aimé rencontrer Capucine Trochet, de passage dans une librairie de Concarneau pour présenter son livre “Tara-tari: mes ailes, ma liberté”. J'avais lu son livre avec passion pendant le confinement. Tant pis, cela ne rentre pas dans le planning... Capucine a embarqué sur ce petit voilier de pêche du Bengladesh, fabriqué à partir de fibre de jute et matériaux de récupération, sans moteur, sans électronique et sans un sou. Elle a avancé au gré du vent, sans objectif de performance, et a peu à peu appris à vivre de la maladie génétique qui lui impose des souffrances permanentes. J'avais trouvé son témoignage inspirant et vibrant.
A quelques mètres de la boutique de pêche, j'aperçois une jeune femme assise devant une librairie, avec une table et quelques exemplaires exposés. C'est elle! Une seule personne lui parle. Je ne peux pas laisser passer l'occasion! J'attends un peu à l'écart, pour lui laisser terminer sa conversation. Dans ma tenue de navigation, en legging et en laine mérinos, j'étouffe de chaud. Le masque n'aide pas. Elle me sourit. Je l'aborde: “Je suis ravie de te voir: je pars justement pour traverser l'Atlantique dans une heure!” La conversation s'enchaîne. J'ai lu le livre sur ma liseuse, je n'ai pas mon exemplaire pour le lui faire dédicacer…à la hâte, je sors une carte postale que je n'aurai pas le temps d'envoyer en France. Elle m'écrit un gentil mot après avoir échangé sur ses projets de navigation en famille et la promotion de son livre, tous deux à l'arrêt avec le Covid. Une question me taraude…je la lui pose: “Comment as-tu fait pour obtenir un contrat avec les éditions Arthaud?”. “Ah, mais en fait, ils sont venus me chercher! Je ne comprenais pas pourquoi ils voulaient que j'écrive quelque chose au début." Vu le personnage, cela ne m'étonne pas!
Je passe ensuite par la boutique de pêche. J'en repars une heure après avec un bon mal de crâne, une vidéo de 7 minutes pendant laquelle le vendeur m'explique comment monter un bas de ligne et ramener la bestiole à bord, et tout le matériel nécessaire pour pêcher au large: drisse, nylon, hameçons, leurres, sleeves, émerillons, plombs...
De retour au bateau, le départ est imminent. Il me faut respirer avant de partir. La tension qui m'habite m'évoque celle que je ressens au théâtre: on stresse, on s'imagine les pires scénarios, l'oubli du texte, le jeu maladroit, le ridicule…et au final, une fois que le rideau se lève, tout s'évapore pour laisser place au jeu, à la justesse du ton, à l'expression du personnage. Je le sais: dès que nous aurons hissé les voiles, nous entrerons en scène.
Une traversée houleuse et efficace
Il est 14h: avec une heure de retard par rapport à notre programme prévisionnel (en même temps, personne ne nous attend…), nous larguons les amarres!
La mer est plutôt belle. Certes, ça souffle, mais rien d'impressionnant. Nous savons qu'au large, la mer sera déchaînée. Nous partons avec une voilure réduite: deux ris et le foc de route. Rapidement, nous prenons le 3ème ris et changeons de voile d'avant. Il faut porter la toile du temps. Nous avons une préoccupation pour cette traversée: toujours maîtriser le bateau, ne jamais nous retrouver en sur-puissance, dominés par lui.
La houle est impressionnante, mais est heureusement plutôt longue qu’hachée. Comme prévu, le calme se fait en notre esprit. La frénésie du départ laisse place à la longue et lente navigation qui nous attend. Nous barrons tour à tour pour ne pas trop éprouver le pilote automatique par ces conditions musclées…et aussi parce-que sentir le bateau solide et déterminé dans cette mer furieuse nous fait plaisir.
Un vent de force 6 est établi, les rafales vont de 7 à 8 en Beaufort. Nous faisons des pointes à presque 10 noeuds. Amorgos cavale. Nous apprenons à lui faire confiance, à nous faire confiance. Nous sommes sereins et le bateau est équilibré. La question va maintenant être d'apprendre à vivre à bord, à nous reposer, pendant cette traversée.
Le pyjama a-t-il sa place dans les grandes traversées?
La question du rythme à bord est la véritable équation à résoudre lors d'une croisière de plus de 24h. La question qui m'angoisse le plus pour les grandes traversées est la suivante: vais-je réussir à dormir? La gestion du sommeil conditionne le fait de profiter du temps passé en mer. Personnellement, il me faut me détacher de l'idée selon laquelle “Si je ne dors pas 7h d'affilée, ça ne va pas aller”. En navigation, nous organisons un rythme de quarts. Il va s'en dire que nous ne pouvons arrêter le bateau la nuit pour dormir: les fonds sont bien trop profonds. Nous nous relayons donc jour et nuit à la barre et à la table à carte pour laisser à l'autre des plages de repos. De monophasique, le sommeil devient polyphasique. Le choix du rythme de quart dépend des préférences de l'équipage. Nous préférons privilégier un rythme assez long: un quart de quatre heures chacun. 21h-1h / 1h-5h / 5h-9h.
Si j'ai la chance d'occuper le premier et le dernier quart, ce qui me donne le privilège d'admirer le coucher ET le lever du soleil, j'évite aussi la pire tranche horaire, pendant laquelle la nuit est noire. Avec le jour déclinant et la pénombre qui s'installe s'accroissent chez Kévin et moi des angoisses nocturnes, dignes d'un enfant qui a peur du noir. Est-ce que le mât est bien réglé? Solide? Est ce que le pilote est fiable? Et s'il fait un empannage sauvage, est-ce que l'autre ne va pas se prendre la bôme? Et si l'autre tombe à l'eau? Le petit singe du mental reprend son agitation incontrôlable dans sa cage. Il va falloir vivre avec…et constater avec l'expérience que tout se passe bien, et que ces peurs sont parfaitement infondées.
La lune est pleine dans le ciel, le plafond étoilé scintillant. Certes, nous filons à pleine vitesse, mais nous y voyons quelque chose. Nos yeux s'habituent à nous guider dans la nuit bleutée. Il suffit de prendre comme repère un nuage au loin, ou une étoile - à faire apparaître entre les haubans au vent - pour garder le cap à la barre. En plus d'une navigation où seuls le bruit des voiles et l'assiette du bateau sont nos marques, nous trouvons dans l'environnement qui nous entoure des indicateurs pour avancer sereinement.
Si je ne dormis pas cette nuit non plus, Kévin réussit à s'assoupir une heure ou deux.. Pour contrer la pensée selon laquelle “si on ne dort pas, ça ne va pas aller”, on se remémore quelques vidéos des spécialistes du sommeil en mer: ce n'est pas grave si on ne dort pas ou peu les 2-3 premières nuits. Le corps met du temps à s'adapter à un nouveau rythme chronobiologique. Il a besoin de 3-4 jours pour s'adapter. Autant dire que nous ne verrons que le revers de la médaille de cette traversée: celle où l'on subit car le corps ne s'est pas habitué, sans profiter d'un organisme bien amariné, et donc beaucoup moins sensible aux bruits et mouvements incessants du bateau. Ce sera pour la prochaine traversée du Portugal aux Canaries...
Le large, ou comment ne pas cachaloter en collants pendant trois jours de traversée
Cachaloter. Ce terme n'est pas reconnu par le Petit Robert? Pourtant, nous pourrions enrichir le dictionnaire d'un nouveau verbe du premier groupe, dont la définition est simple: action de se déplacer péniblement d'un point à un autre, affalé(e) à l'horizontale sur un banc, une banquette ou tout support à même d'accueillir un corps lourd et mollasson.
J'ai fait beaucoup de cachalotage pendant cette première traversée. Concrètement, le manque de sommeil de m'aidant pas à m'amariner, je me suis sentie brassée pendant les deux premiers jours. Si j'ai fait l'honneur aux poissons de les laisser goûter à mon dîner à deux reprises, c'est bien parce-qu'au milieu du Golfe de Gascogne, le self-control en prend un coup. J'arrive à gérer certains états nauséeux qui vont et viennent lors des traversées à la journée, lorsque les conditions sont costaudes. Là, mon corps a eu raison de ma volonté. Les manoeuvres du bord, les allers et retours à l'intérieur pour me coucher, préparer les repas, me vêtir m'obligent à délaisser l'horizon que je fixe de manière imperturbable. Dès que mon regard ne s'arrime plus au paysage, la nausée revient. J'ai pourtant les deux bracelets d'acupression aux poignets et j'ai bien pris les doses de Cocculine pour prévenir le mal de mer. Au petit matin, épuisée, je rends les armes et me sens enfin soulagée de laisser mon corps exprimer son inconfort. Je continue mon quart, plus légère et à moitié endormie.
Le vent se calme enfin, nous sommes au milieu du Golfe de Gascogne.
Voilà deux jours que je me trimballe en legging ou dans ma tenue Pilou-Pilou. N'y aurait-il pas un peu de laisser-aller? On se sent poisseux, les cheveux ébouriffés, les dents pas lavés. Il est nécessaire de se reprendre!
Kévin s'attaque à la vaisselle qui s'entasse dans l'évier, et nous prenons tour à tour une douche froide sur le pont, grâce à la douchette extérieure. Nous séchons au soleil et changeons d'habits. Un brin de fraîcheur nous redonne du baume au coeur. L'hygiène est indispensable à bord. Propres comme un sou neuf, le moral remonte en flèche.
La vie au large, comment est-ce?
Je me suis souvent demandée comment je ressentirais le fait d'être entourée d'eau à 360°, sans côte à l'horizon.
Si nous nous nous sommes déjà suffisamment éloignés des côtes jusqu'au point de ne plus les voir depuis l'achat du bateau, nous nous demandons si le fait d'être "encore plus loin" créera un sentiment particulier. Force est de constater que…cela ne fait pas grand chose. Pas de peur incontrôlée ou de malaise profond à l'idée d'avoir pour seul plancher la coque d'un bateau sillonnant les mers. A vrai dire, être au large présente en soi moins de danger que d'être près des côtés: pas de caillou à l'horizon, aucun risque de toucher le fond, peu de bateaux. Seule l'appréhension du large peut s'expliquer par le sentiment “d'engagement” que l'on vit, similaire à celui que l'on rencontre en alpinisme. Être engagé, cela signifie ne pas pouvoir faire demi-tour, se donner les moyens d'arriver au bout, ensemble. De fait, nous nous retrouvons embarqués dans la même "galère" - au sens premier du terme. En tant qu'équipage, à nous de rendre cette galère joyeuse, dans cet environnement hostile.
Naviguer à deux présente l'inconvénient d'effectuer beaucoup d'heures en solitaire: quand l'un dort, l'autre est de quart. Et inversement. Heureusement, nous ne nous reposons pas 12h par jour, ce qui signifie que nous partageons d'agréables moments ensemble à contempler la mer, en silence, ou à parler de là manière dont on vit la traversée.
Mes longues heures de quart me laissent une impression de longueur extrême. Les minutes s'égrènent lentement...mieux vaut ne pas garder les yeux rivés sur l'horloge suspendue à côté du baromètre. Est-ce que je m'ennuie? Assurément. Est-ce gênant de s'ennuyer? Pas forcément. Nous savions que nous allions nous ennuyer, on nous l'avait dit. Mais on s'habitue à réapprivoiser ce sentiment si peu présent dans nos vies trépidantes. La question est: que vais-je faire de tout ce temps dont je dispose? Subir l'ennui? Ou l'apprivoiser?
Nous réalisons l'importance de bien préparer nos traversées pour en faire des moments propices à la lecture et à l'écoute. Dès le deuxième jour, nous branchons sur la sono du bord quelques playlists et podcasts téléchargés à la hâte avant de partir.
Envie d'aborder un sujet de société? Vlan! est l'idéal.
A moins qu'il soit le moment de se nourrir de figures inspirantes, engagées sur un chemin de transformation intérieure? Et c'est parti pour Métamorphose!
Et pourquoi ne pas suivre les conseils de Sarah Hébert, ancienne championne de windsurf qui parcourt les mers en famille tout en enregistrant le podcast Oleti, dédié aux sports de glisse, au yoga et au développement personnel? Nous comprenons qu'il nous est important de faire le plein de livres audios, podcasts, musique en tout genre, et que cette traversée est l'occasion rêvée de télécharger quelques leçons d'Assimil en Espagnol, et pourquoi pas de Portugais. Lire est aussi une de nos activités favorites: nous partons avec une bibliothèque conséquente dans nos liseuses. Paraît-il qu'une Transatlantique est l'occasion rêvée de s'engloutir tous les Rougon-Macquart...
Au final, le large, qu'est-ce que c'est?
A la fois il ne se passe rien, ou pas grand chose, à la fois la conduite du bateau requiert un état de veille quasi permanent. Nous croisons quelques ferries au large de l'Espagne, mais aucun voilier. Nous surveillons tout de même l'horizon et l'AIS (Automatic Identification System) pour anticiper un éventuel changement de conditions, annoncés par des nuages un peu trop noirs ou cumuliformes, afin de prévenir toute adaptation de voilure, ou tout risque de collision. Vigilants, nous restons sur nos gardes en permanence.
Si nous devions définir le large, je retiendrais ceci: c'est la houle, les mouvements chaloupés du bateau, le corps qui s'adapte à ce balancement plus ou moins régulier, la mer à perte de vue, l'observation des nuages, l'imagination qui se débride à la vue de ces formes mouvantes et cotonneuses, le soleil qui réchauffe la peau, des dauphins qui viennent jouer en bande à l'étrave du bateau, des levers et des couchers de soleil. Le bleu de la mer est aussi bien monotone que merveilleux. C'est une contemplation inédite, toujours saisissante. On est absorbé par ce bleu métallisé, qui est à la fois l'ennemi à dompter et la raison d'être de la traversée. On observe, on admire, on s'énerve, on se sent impuissant, on prend une photo, on attend, on savoure. On essaye de rendre ce milieu chargé d'embruns propice à l'homme, avec ses activités, ses besoins, son rythme.
Le large, c'est aussi cet état un peu comateux, ces corps ballotés, l'appétit qui se târit. C'est l'endroit où l'on préfère un plat de coquillettes au beurre ou un bol de riz blanc à une assiette de spaghettis aux palourdes et chorizo. Plus c'est simple, mieux c'est. Le corps ne veut rien de compliqué, de lourd à digérer. Le corps ne veut qu'une chose: dormir, avoir chaud, ne pas avoir soif, ne pas avoir faim, être rassuré. C'est ça, le large, c'est un retour à l'essentielle simplicité.
La joie d'arriver
Je m'étais préparée: le voyage sera long, mieux vaut ne pas penser à l'arrivée. Indocile, l'esprit ne se laisse pas faire. Aux ¾ de la route parcourue, on n'a qu'une hâte, qu'une impatience: celle d'arriver. A 70 milles de la côté espagnole, nous apercevons un relief. Victoire, la terre approche! La tension d'arriver se fait plus violente: le vent, lui n'a pas intérêt à nous faire défaut! Sauf que bien sûr, c'est lui qui décide: nous avancions à 7 noeuds, nous passons à 4, et devons nous armer de patience pour accepter d'arriver en pleine nuit, et pas en fin d'après midi...
Au final, nous décidons de nous arrêter avant la Corogne pour ne pas atterrir de nuit. Une baie a l'air bien abritée, Navily - l'application des plaisanciers partageant bons plans de navigation - en fin de journée à Cedeira. Après 320 milles et 55 heures de navigation, nous arrivons avec une joie non dissimulée dans un endroit magique. Cette escale et toutes les autres nous réserveront d'agréables surprises...Nous vous raconterons cela dans un prochain article!