Rencontre avec une baleine
La navigation entre Fuerteventura et Tenerife est une belle glissade. Nous avons la sensation d'être sur un tapis volant: la mer est lisse, le bateau parfaitement équilibré. Partis dans l'après-midi, nous prévoyons d'arriver le lendemain dans la matinée. Le bateau file parfois à 7 noeuds, parfois à 3, nous sommes tellement bien en mer qu'aucune urgence à arriver ne nous étreint. Le soleil se couche dans un splendide jeu de couleurs. Il se réveille 12h après, lors du changement de quart.
Un moment majestueux
Comme d'habitude, je me lève à l'aube tandis que Kévin rend les armes.
Souvent, nous admirons le lever du soleil ensemble, toujours soulagés de la clarté naissante. Tout à coup, un souffle puissant attire notre attention. Une odeur prononcée de poissons arrive jusqu'à nos narines: pas de doute, une baleine est dans le coin! L'excitation est à son comble, nous n'en avons jamais vue, même de loin.
Nous balayons l'horizon du regard pendant de longue minutes. Face au soleil levant, une grosse masse émerge de l'eau, majestueuse et imposante.
Dans un lent et lourd mouvement ondulatoire, elle passe de la surface à l'abîme des profondeurs. C'est incroyable, nous avons vu une baleine! Nous continuons à scruter l'océan, là où nous l'avons vue surgir. Après de longues minutes de vaine observation, nous baissons la garde. C'est alors qu'un souffle puissant attire notre attention sous le vent: une gigantesque masse d'un noir irisé sort de l'eau à quelques mètres de nous. Tremblante, je pousse un cri de surprise. Le volume et la puissance du plus gros mammifère marin est telle que j'ai peur qu'elle s'amuse avec notre bateau, allant jusqu'à le renverser! Les attaques d'orques auprès des plaisanciers nous rend méfiants…
Mais non, elle s'est juste approchée de nous par curiosité, et repart comme elle est venue. Quel moment intense nous venons de vivre! Il est très rare qu'une baleine surgisse des profondeurs si près d'une embarcation humaine. Nous avons beaucoup de chance!
Apprendre sur la vie marine et partager nos observations
Avant de partir, nous nous sommes inscrits à un programme de sciences participatives auprès de l'association le RIEM (Réseau Initiatives des Eco-Explorateurs de la Mer), qui collabore avec l'Ifremer et d'autres programmes scientifiques internationaux.
Via l'application ObsEnMer, nous signalons la présence et les caractéristiques des populations marines que nous croisons. La position géographique est donnée automatiquement: à nous de nous laisser guider dans l'application pour identifier le type de mammifère rencontré.
Il n'y a pas que les dauphins et les baleines: nous apprenons à les distinguer grâce à leur couleur, leur taille et leur comportement.
Là, typiquement, nous venons de croiser un Rorqual commun, qui est le 2ème plus gros animal au monde. Il fait entre 20 et 25 mètres de long et pèse 40 tonnes. Autant dire que lorsqu'il a surgit de l'océan à deux mètres de nous, nous nous sommes sentis bien petits avec nos 7 tonnes et 11,70m!
Participer à ce programme est un enrichissement supplémentaire à notre voyage. Cela nous pousse à observer ce qui nous entoure, et à distinguer les mammifères marins de manière plus précise.
Nous comptons également participer à un second programme du RIEM, axé sur l'observation des macro-déchets flottants. Avec le nombre de conteneurs déversé en mer, il n'est pas impossible que nous en croisions.
L'île de Tenerife
Arriver à Tenerife est une bouffée d'air frais: après avoir passé trois semaines dans un décor désertique, nous sommes contents de poser le pied sur une terre fertile.
Nous atterrissons à Santa Cruz de Tenerife, la capitale. L'idée était d'éviter Gran Canaria, trop grande pour nous, et de choisir sa rivale, plus attractive du fait d'une marina certes grande mais plus accueillante. Surtout...Tenerife a pour principal atout d'héberger le plus haut sommet d'Espagne: le pic Teide, culminant à 3718m.
Le surréaliste André Breton en parlait déjà dans Le Château étoilé: évoquant le “Teide admirable”, il le décrivait ainsi:
« À flanc d’abîme, construit en pierre philosophale, s’ouvre le château étoilé », André Breton
Nous l'avons aperçu au loin, dans la brume, avant même de dépasser Gran Canaria en bateau: ce chapeau pointu impressionne, dans ces contrées si arides. Nous le verrons enneigé après notre ascension, comme il l'est représenté traditionnellement.
Santa Cruz de Tenerife
L'escale de Santa Cruz est l'occasion de faire des machines en série et de nous reposer quelques jours avant d'explorer les montagnes environnantes.
La ville est agréable, colorée, vivante avec son immense marché "Notre Dame d'Afrique". Nous prenons des cafés en terrasse, et rencontrons d'autres équipages, en plein préparatifs pour la transat.
A Santa Cruz, ça sent le départ: ultimes travaux, derniers cheks, avitaillement...une certaine tension règne sur les pontons. L'appel du large est proche, si bien qu'on réalise, que nous aussi, nous partons bientôt.
C'est l'occasion de faire un sérieux avitaillement dans un gros supermarché de la ville, car après, la diversité ne sera plus de mise. On nous a fortement déconseillé de nous approvisionner au Cap-Vert, hormis au marché de Mindelo où les légumes sont excellents.
Je m'amuse donc à nous projeter dans la transat, en établissant menus et quantités, puis en les regroupant dans un TCD (Tableau Croisé Dynamique pour les amoureux d'Excel) pour faciliter les courses. Il nous faut donc 1 semaine pour le Cap-Vert, et 3 semaines de nourriture pour la transat (une semaine de rab, normalement en 2 semaines nous devrions arriver...).
C'est un casse-tête amusant pour mêler diversité alimentaire et bon sens, afin de consommer au plus vite le frais, tout en assurant des plaisirs gustatifs jusqu'au bout de la traversée.
Avec le bateau Khaïma et les MatelowTech, nous fêtons dignement l'anniversaire de Kévin. Il faut dire que la journée avait bien commencé, grâce aux Pancake de chez Marlette!
Pour le reste, nous avons prévu un couscous géant, grâce à notre barbuc pour la viande, et mettons tout le monde dans l'ambiance avec le premier planteur. La fête est joyeuse et réussie, Kévin célèbre le passage à la 34ème année en beauté, avec un sérieux mal de crâne le lendemain.
Remis de la fête, nous louons la voiture pour explorer l'île. Les vastes forêts primaire et les petits villages perchés à flanc de montagne sont un plaisir pour les yeux et les jambes.
Ascension du Teide
Nous nous échauffons tranquillement pour l'événement de Tenerife: l'ascension du Teide!
C'est une randonnée à la journée qui se prépare: il est nécessaire d'obtenir un permis pour l'ascension finale. Nous avons un créneau 15h-17h pour nous y rendre, ce qui est relativement tard vu qu'il faut descendre à pied.
Kévin a eu la chance d'avoir comme cadeau d'anniversaire de la part de ses parents deux nuits dans un hôtel, le seul proche du Teide. Plus que des cadeaux matériels, nous apprécions beaucoup les expériences à partager, générant des moments de qualité.
Nous nous rendons donc au Parador de las Canadas del Teide pour deux nuits dans un vrai lit. En passant à 2000m, le thermomètre chute: nous passons de 30° à 10°C. L'air pur des montagnes nous rafraîchit agréablement les poumons.
L'hôtel est rustique et authentique, nous nous sentons bien. Après un trail de 20km pour Kévin et une randonnée ensemble l'après-midi, nous nous détendons autour du feu de cheminée et nous couchons tôt pour partir à 8h30 le lendemain.
Nous avons 1700m de dénivelé à faire, sans trop nous attarder pour ne pas rentrer de nuit. Un téléphérique se rend quasi au sommet, mais cela ne nous intéresse guère: nous préférons marcher.
Le chemin que nous empruntons n'est pas le plus commun, mais la difficulté supplémentaire nous motive, d'autant plus que nous aurons droit à une vue sur l'impressionnant Pico Viejo, un cratère gigantesque.
Au fur et à mesure que nous évoluons sur la roche, la végétation s'amenuise, le paysage se précise. Des boules de lave trônent au milieu d'un champ de lave séchée, le sol est rocailleux, il n'est pas toujours simple d'avancer sur des pierres instables.
La pause sandwich aux 3/4 de parcours fait du bien. Nous finalisons l'ascension comme dans les Alpes: rythme régulier et lent.
La récompense au sommet est là: nous apercevons La Gomera, El Hierro et la Palma et pouvons contempler ce spectacle volcanique à couper le souffle. Le volcan se rappelle à nous: des volutes de soufre s'échappent des profondeurs. Elles nous saisissent par leur odeur putride...ça sent l'oeuf pourri!
On imagine l'activité qui gronde sous la terre. Calme à l'extérieur, brûlant de l'intérieur...
Nous cavalons pour descendre au plus vite, tandis que de nombreux trailers profitent de la fin d'après-midi pour rejoindre le sommet, afin d'admirer le coucher du soleil. Le chemin ordinaire est bien plus praticable de nuit que celui que nous avons emprunté.
La chance est avec nous: en arrivant au niveau du téléphérique, les gardiens nous offrent un café. A peine descendus, nous rencontrons un couple de belges disposé à nous déposer à la voiture: vu qu'il est 18h, nous sommes ravis de raccourcir la route!
Repos et dépressions successives
Le retour à Tenerife s'effectue sans encombres. Nous avons la sensation de revenir de loin et, comme à chaque expérience au creux des cimes, d'avoir vécu quelque chose d'exceptionnel.
Les jours suivants sont consacrés au repos, aux formalités de sortie de l'Union-Européenne et à quelques déambulations dans la ville.
Nous sympathisons avec O'Alen, une famille d'Arcachon et leurs deux petites filles de 3 et 5 ans, et retrouvons Shanty, un bateau allemand qui modifie son projet initial: avec d'autres allemands, ils se rendent en Gambie, paraît-il une destination merveilleuse!
Nous suivons les systèmes météo de près: les dépressions se succèdent, il n'est pas évident de trouver le bon créneau pour partir à la Gomera.
Lorsque l'horizon s'éclaircit, nous nous lançons: une "petite" nav' de presque 80 milles nous attend.
Réveillés par des fêtards à 5h du mat', nous saisissons cette opportunité pour larguer les amarres.
La suite au prochain numéro :)