Privilégiés par rapport à la situation sanitaire en France, nous allons nous efforcer de vous faire voyager avec nous du mieux que nous le pouvons! Certains d'entre vous nous ont signalé attendre avec une pointe d'impatience cet éclairage sur Madère, attirés par la diversité de ce bout de roche perdu dans l'océan.
Avant de vous emmener sur les sentiers de randonnée de cette région portugaise escarpée et verdoyante, plantons le décor:
Madère est un archipel composé de l'île du même nom - la plus grande, dont la capitale est Funchal - et d'autres petites îles. Il se trouve à 973km de Lisbonne, distance que nous avons parcourue en trois jours de navigation. Ces îles, d'origine volcanique, sont situées sur la plaque africaine.
L'île semble avoir été découverte au cours de l'Antiquité par les Carthaginois; les Phéniciens y accostèrent également. Les Vikings y ont fait escale du IXème au XIème siècle. L'archipel est passé sous drapeau portugais à l'époque des Grandes Découvertes, commanditées par Henri Le Navigateur. Les Portugais en prirent possession au nom du roi Jean Ier du Portugal et la baptisèrent “Madeira”, ce qui signifie “l'île du bois”.
Depuis 1976, Madère, comme les Açores, est constituée en région autonome de la République du Portugal (Região Autónoma da Madeira), avec un gouvernement autonome et une assemblée législative régionale.
Porto Santo
Une île préservée et aride
En étudiant la carte marine, nous apprenons que Madère n'est pas qu'une île mais un archipel, et que la plupart des plaisanciers atterrissent sur l'île la plus proche du continent européen: Porto Santo.
Vu que nous ne connaissons pas l'existence de cette île, nous n'avons aucune attente particulière. Cela est, en général, source d'heureuses surprises!
L'approche de Porto Santo à la voile est saisissante. En plus d'un vent chaud qui nous caresse le visage, la mer est d'un bleu vif cristallin. Le relief interpelle par son aspect lunaire. Pelée et aride, l'île parait hostile de prime abord, bien que quelques palmiers habillent le chemin côtier.
Nous apprenons que l'île est réputée pour deux raisons:
- son immense plage de sable blanc - tandis que sa grande soeur Madère en est dépourvue (s'il y a des plages, elles sont de sable noir);
- la maison de Christophe Colomb, car le navigateur a vécu sur l'île pendant deux ans. Il s'est marié avec la fille du gouverneur de Porto Santo, Bartolomeu Perestrelo. Sa femme est décédée peu de temps après la naissance de leur fils Diego. Le séjour de Christophe a certainement une influence sur ses expéditions futures, car de nombreuses cartes marines faisaient partie de la dot de sa femme Filipa: paraît-il qu'elles auraient été déterminantes pour découvrir l'Amérique…
Test Covid obligatoire avant d'accoster
Après avoir galéré à chercher un test Covid à Lisbonne, nous avons appris qu'à Porto Santo, les tests étaient systématiquement organisés pour les plaisanciers, sans des délais d'attente trop longs, tout en ayant le bon goût d'être gratuits. Nous nous préparons à rester trois jours dans le bateau, délai qui nous semble raisonnable, d'autant plus que nous arrivons dans l'archipel un samedi à 10h30. Il y a peu de chance que l'hôpital ambulant se déplace le week-end juste pour nous.
A peine l'ancre mouillée, nous appelons par VHF le port pour signaler notre présence et demander un test. A la vue des autres bateaux, nous réalisons avoir oublié le pavillon jaune, obligatoire pour signaler une mise en quarantaine. Il faudra nous en procurer un pour d'autres escales insulaires…
A peine une heure après notre appel, nous recevons un mail de convocation à un test Covid en début d'après-midi. D'autres bateaux français attendent depuis 2 jours un test…nous bénéficions finalement de leur patience pour nous greffer au test groupé! Branle-bas de combat: encore embrumés par notre navigation de 3 jours, nous gonflons l'annexe et nous rendons au test, escortés par un garde maritime.
Le village français
A peine 12h plus tard, nous voilà munis d'une autorisation à gambader sur l'île. Quelle efficacité! Le mouillage dans l'avant-port est occupé par de nombreux bateaux de voyage.
Nous retrouvons les copains que nous nous sommes faits à Lisbonne: les bateaux Mordicus (un couple de parisiens âgés de 28 ans), Khaïma (la famille nantaise avec 3 ado), Tatihou (la famille de la Sarthe, dont 3 enfants de 6 à 8 ans).
Le café du port est un lieu incontournable de la vie des pontons: que ce soit pour le café matinal ou pour la bière de fin de journée, c'est un point de passage obligé pour quiconque veut faire connaissance de ses voisins. Nous constatons que pour certains, Porto Santo n'est plus une escale mais un lieu de résidence. Les tarifs très compétitifs du port attirent des plaisanciers qui souhaitent sortir leur bateau de l'eau, ou qui ont envie de passer du temps sur une île attachante, sans trop se ruiner. Porto Santo devient leur vie. Si nous ne comptons pas passer une semaine entière sur l'île, car nous savons que de belles choses nous attendent à Madère, nous entrevoyons à quel point le temps peut être étiré, jusqu'à décider de s'arrêter quelques mois dans cet endroit paisible. C'est la limite d'une année sabbatique: qui dit “projet” dit “programme”, donc “maîtrise du planning”. Cela dit, nous apprenons de plus en plus à faire des escales longues dans des endroits qui nous plaisent, tout en veillant à ne pas nous fossiliser quelque part, sous peine de ne pas avoir envie de repartir…
Un tour de l'île en scooter
Une fois n'est pas coutume, nous louons un scooter pour sillonner l'île. Trop vallonnée et caillouteuse pour nos vélos pliants, nous décidons de “voir le max en peu de temps”, pour une fois. Nous enfourchons un scoot de 50 cc, et nous sentons comme Che Guevara dans Carnets de voyages. Grisés par la vitesse, les cheveux au vent (sous le casque), nous faisons corps avec la route sinueuse, dans un nuage de poussière.
Voici un tour d'horizon de l'île:
A Punto da Calheta, nous remarquons un couple de trentenaires à l'aspect fort sympathique. A tour de rôle, nous nous baignons dans les eaux magiques et translucides.
A peine rentrés dans le centre-ville pour rendre les scooters à temps, nous nous attablons à une terrasse qui ne paye pas de mine. Nous sommes en quête d'une “poncha”, punch local à base de rhum, miel et citron. A côté de nous s'assoie le couple que nous avons repéré. “Il semblerait que nous ayons des goûts communs”, je leur lance, une fois attablés. Les sièges se rapprochent, et nous passons la soirée avec eux, guidés par leurs conseils culinaires et la joie de faire connaissance avec Joana et Cassio, un couple franco-portugais.
Nous serions bien restés à Porto Santo plusieurs jours, tant la vie peut y être agréable, mais nous décidons de poser nos valises à Madère pour une dizaine de jours. Un fort coup de vent s'annonce, nous souhaitons mettre le bateau à l'abri dans le port prisé de Funchal, tout en bénéficiant d'un temps clément pour partir en rando. Nous sommes impatients de nous dérouiller les jambes sur un peu de dénivelé en forêt et, de ce qu'on nous en a dit, Madère est propice à la balade à pied.
En une journée de descente sous spi, c'était plié.
Ile de Madère
L'approche de l'île de Madère est exceptionnelle. Imposante, majestueuse, embrumée par des nuages nichés dans la chaîne de montagnes, Madère contraste avec Porto Santo par son relief escarpé et sa végétation bien plus généreuse. Ce n'est pas pour rien qu'elle s'appelle “l'île du bois”! Au loin, nous distinguons des cultures en terrasse sur le moindre lopin de terre, la forêt à perte de vue et, sur la côte, des grappes d'habitations sans aération aucune. Madère nous fait l'effet d'être une île verte et très (trop?) habitée, tant la densité des maisons laisse peu d'espace à des terrains inexploités. Chaque mètre carré semble mis à profit: pour habiter, cultiver ou se promener. Il n'empêche, c'est grandiose!
Nous avons bien bataillé avec la Marina de Funchal pour obtenir une place. Nous appelons toujours pour réserver une place au port, mais la plupart du temps, la marina nous fait une bonne réponse de normand “venez le jour J pour voir si une place est dispo, là on ne sait pas”.
A Funchal, une gue-guerre existe entre la Police Maritime et les Marineros: ils se renvoient sans cesse la balle pour décider ou non s'ils ont une place de dispo. Après de multiples appels, d'âpres négociations et blagounettes en portugais, nous obtenons enfin une place sur un catway.
Nous réintégrons “la ville” à Funchal, tout en bénéficiant d'un climat tropical. Certes, nous sommes dans la capitale de Madère, mais les palmiers et fleurs exotiques à perte de vue rendent l'escale déjà bien dépaysante.
La première journée dans un nouvel endroit est toujours l'occasion d'atterrir en douceur dans une nouvelle contrée: nous faisons connaissance avec l'île en nous promenant dans Funchal, les rues de sa vieille ville, le marché de fruits exotiques.
Partir en road-trip pendant 3 jours dans les montagnes: magique!
La vie en bateau peut être pénible pour le corps. L'exercice physique manque. Le dos courbé, les jambes engourdies, nous avons hâte de nous dérouiller les mollets sur du dénivelé!
Partagés entre le besoin de nous reposer et l'envie d'explorer, nous nous prêtons au jeu de la préparation d'une expédition en montagne. Bien rangé sous un coffre de la cabine avant, se trouve le matériel de camping. En faisant fi du chaos généré par l'extirpation de la tente, des tapis de sol, du réchaud, des sacs de rando et des gamelles…nous préparons le matériel. L'office du Tourisme n'est pas d'un prompt secours pour indiquer où camper. Il nous oriente vers le bureau du Parc Naturel de Madère, dans lequel nous apprenons simplement qu'il faut une autorisation, sans nous dévoiler les lieux de camping sauvage autorisés… Cela dit, maintenant que tout le matériel est sorti…nous n'avons pas envie de nous débiner!
Nous chargeons le tout dans la Fiat Panda de location, et c'est parti!
En nous engageant sur les routes de montagne, nous prenons la direction des piscines naturelles de Porto Moniz et de Seixal, également réputée pour sa plage de sable noir.
En même pas une heure de voiture pour traverser l'île, nous sommes émerveillés par ce que nous avons vu. Ecoutons Kévin en parler:
"Il est rare de se trouver sur un territoire présentant une telle diversité. Ce qui est encore plus surprenant à Madère, c’est la concentration de celle ci. Le contraste entre le nord de l’île - moins exposé au soleil et beaucoup plus humide - et le sud bien plus aride se perçoit dans la faune, la flore, la géologie. Et pourtant, il ne faut faire que 30 km de route de montagne pour traverser l'île. Ainsi le nord concentre une flore endémique proche des forêts tropicales, dont les forêts de lauriers primaires sont un symbole. Grâce à l'irrigation, le sud est occupé par de nombreuses terrasses, où sont cultivées bananes et fruits exotiques. Il y a aussi un contraste net entre le niveau de la mer, lui aussi très vert, et le sommet de l’île, très aride. On pourrait presque penser en altitude que des moraines ont été creusées par un glacier. Mais non, même si les cratères ont disparu, on reconnaît bien un sol granitique par ci, basaltique par là, ou encore andésitique, ce qui est bien caractéristique d’une activité volcanique.
Cette concentration de variété est tout aussi enchanteresse qu’enivrante: on a bien conscience d’être dans un lieu féerique et unique. Comme lancés dans une course à la découverte de nouveaux lieux magiques, je trouve cette escale particulièrement dépaysante. On est au milieu de l’océan, tout en étant à la montagne. On est sur la lune, tout en se baladant dans des forêts humides et tropicales."
Vers 16h, il est temps de trouver un lieu où poser la tente. Nous cherchons le spot de camping sauvage autorisé et nous hissons dans la montagne en faisant chauffer le moteur un peu fébrile de la Fiat Panda. Nous souhaitions dormir sur le plancher des vaches, nous ne croyions pas si bien dire…Un troupeau de vaches apathiques nous accueillent. Nous les contournons avec prudence et découvrons derrière elles une clairière magnifique, ombragée par de beaux arbres. Il y a même un abri en pierre, un point d'eau et de quoi faire du feu!
Entre deux bouses de vache, nous choisissons un emplacement pour monter la tente et préparer notre couche pour la nuit. Réflexes de scouts: nous sortons la lampe frontale et nous empressons d'aller chercher du petit bois pour faire un feu.
Malheureusement, les allumettes ont pris l'eau, nous nous retrouvons bien bête pour allumer le réchaud…Kévin se dépêche de courser un van de randonneuses que nous avons croisées, et revient victorieux avec de nouvelles allumettes. Ouf, nous avons failli manger des pâtes crues.
Il manque les chamallows grillés, sinon on y était.
L'avantage, c'est qu'avec un soleil déclinant, on se couche tôt. La nuit fût correcte bien qu'un peu dure. Au moins, ça ne bouge pas: on ne peut pas tout avoir.
Le lendemain, nous passons par le village de Santana pour admirer ses maisons typiques, puis nous engageons dans l'un des sentiers de randonnée balisés (dits “PR”): la Caldeirao Verde et la Caldeirao do Inferno.
Nous nous enfonçons dans la forêt verdoyante, dense et humide, le long des levadas. Tous les chemins de randonnée sont balisés à Madère, pour éviter que les pas des marcheurs détruisent l'écosystème. En dépit du caractère un peu trop “bordé” de la marche, nous évoluons dans une forêt primaire touffue et mystérieuse. Nous traversons des tunnels à la lueur d'une frontale, parfois pliés en deux, et rencontrons cascades et canyons le long du chemin. Les contrastes de lumière et de couleur sont nombreux, intensifiés par les jeux d'ascenseur des nuages sur la montagne. La marche est ludique, le long des chemins en pierre, entourés de lauriers.
Nous retrouvons la Fiat Panda pour chercher un abri nocturne, si possible proche de la rando que nous comptons faire le lendemain. Là encore, quelle n'est pas notre surprise en nous laissant guider jusqu'au sommet d'un parc écologique, dans lequel sont aussi mis à disposition un abri en pierre, un point d'eau et une cheminée! Même chorégraphie que la veille, un coucher de soleil époustouflant en prime.
A l'aube, le réveil sonne. Il fait encore nuit. En silence, nous replions tente et sacs de couchage. Le but est d'arriver à l'observatoire du Pic Arieiro (1818m) pour le lever du soleil, avant de partir pour la “grosse rando”. Nous ne sommes pas les seuls à avoir suivi les conseils du Lonely Planet: des cars ont déversé des centaines de touristes sur le point de vue! Ce n'est pas aussi calme que nous l'espérions, d'autant plus que d'agaçants bruits de drônes nous survolent, mais nous ne nous laissons pas déconcentrer pour autant.
Après un brin de toilette grâce au Jerrycan embarqué dans la voiture, nous nous lançons dans la rando tant attendue: celle entre le Pico Arieiro et le Pico Ruivo (1862m). Réputée difficile, elle se révèle physique et aérienne, bien que tout à fait accessible quand on a déjà fait de l'alpinisme. Une succession de montées et descentes sur des escaliers à pic, avec des vues plongeantes à couper le souffle, nous offre un panorama impressionnant. La chaîne de montagnes se déploie, tantôt perdue dans la brume, tantôt illuminée par un soleil cuisant.
Sur le chemin du retour, nous croisons par suprise Cassio et Joana, le couple portugo-brésilien croisé à Porto Santo! Amusés par la coïncidence, nous les invitons le soir au bateau. Nous préparons un petit apéro, ils déboulent avec tout le dîner! Ils apportent plusieurs spécialités de Madère, tout heureux de nous les faire découvrir. En plus de ça, ils nous offrent une bouteille de champagne local, cadeau de leur hôtel! Cassio a un super plan à nous partager: dès qu'il va dans un hôtel, il dit qu'il est en lune de miel: ça fonctionne à tous les coups, une bouteille de champagne les attend à l'arrivée! ;) Nous rions bien et tenterons l'expérience au plus vite… Nous sommes ravis de nos échanges avec eux, et de découvrir que Joana a repris une ferme familiale pour en faire une ferme pédagogique et un lieu de tourisme vert (la Casa das Palmeiras, près de Coimbra). Nous découvrons les heureux habitants de la ferme: le cochon Peppa, chats, chiens, lapins, poules…, ses activités “nature”, la piscine naturelle et les gîtes invitant à une pause “nature”. Nous espérons avoir l'occasion un jour d'y séjourner!
Le meilleur cadeau d'anniv: 2 nuits dans un hôtel
Après un peu de repos et une opération “rangement” au retour du camping, nous nous réveillons impatients, à l'idée de couper pendant deux jours avec le bateau. A Lisbonne, Kévin m'avait offert une nuit dans un bel hôtel avec piscine - habilement transformé en deux nuits par commun accord. :D
Nous quittons le bateau de bonne heure pour profiter d'une randonnée courte mais réputée, et tombons sur LE couple de voyageurs le plus connu dans le monde de la voile “Sailing La Vagabonde”. Ils vivent grâce à leur chaîne YouTube, à laquelle 1,5 millions de personnes sont abonnées! …
En début d'après-midi, nous arrivons à l'hôtel pour ne “pas en merdre une miette”. Quelle joie de trouver une chambre propre, avec de l'espace, un lit dans lequel se glisser sans se contorsionner et se cogner, des draps fraîchement lavés, une douche chaude et illimitée…Le cadre est magnifique, le jardin verdoyant.
Si nous sommes peu habitués à aller à l'hôtel, nous apprécions cette parenthèse pour nous reposer et flâner au bord de la piscine. Pour la forme, nous faisons un tour dans deux villages de surfers, mais nous précipitons à nouveau au bord de l'eau histoire de nous reposer.
En arrivant avec notre barda à l'hôtel, nous nous sommes sentis un peu décalés par rapport aux chics familles allemandes et anglaises qui venaient y séjourner, mais en deux jours, nous avions repris nos habitudes de terriens et quelques bonnes manières pour cohabiter avec les autres clients. Habitués à la vie des pontons, il nous était étrange de ne pas aller aborder les visages sympathiques pour leur taper la discut', mais nous nous sommes retenus, par souci de discrétion.
Il nous a bien fallu quitter l'hôtel: nous revenons à Funchal les batteries rechargées, prêts à réintégrer nos quartiers à bord en vue d'une navigation vers les Canaries. La régate des Canar' avec 7 autres bateaux est lancée!